Moléans (28) et la Conie…

Mollets en… parce que c’est boueux ? Et la conne nie ?

Toute une enquête de toponymie…

Moléans (28) : son église Saint-Pierre et son château

Moléans (28) : son église Saint-Pierre et son château

Extrait ci-dessous de mon ouvrage :
Moléans (Eure-et-Loir), histoire par ses noms de lieux
à télécharger ici, gratuitement :

NicolasHuron-Toponymie-Moleans(28).pdf

(Lien transparent : https://patrimoine-rural.com/NicolasHuron-Toponymie-Moleans(28).pdf)

ou avec une participation volontaire éventuelle avec €-libre-paiement,
ou avec une invitation aux bénéfices avec 32%/€net.

Version papier à faire imprimer et à acquérir à la Boutique !

Bonne visite à travers l’étude de Moléans (Eure-et-Loir) par ses noms de lieux.

La ConieConie-Molitard

Ce nom ne désigne pas une rivière mais deux. En effet, la Conie se sépare en deux à l’est de la commune de Conie-Molitard. Ce ne peut donc pas être uniquement un nom de rivière. De plus, ce nom désigne aussi un village : Conie, chef-lieu de la commune de Conie-Molitard. De plus, ce nom se retrouve dans celui de Moret Conie, une ferme de la commune de Villeneuve-sur-Conie, dans le département du Loiret.

La Conie à Moléans (28)

La Conie à Moléans (28)

Lire la suite... Image légère

La première mention de la rivière apparaît dans une charte de confirmation de possessions accordée à l’abbaye de Micy d’Orléans et datant de 836 où on trouve la mention « super aquam Conida », sur l’eau de la Conie. Les chartes du prieuré de Nottonville nous révèlent les formes latines « Connia »en 1095, « Coneia » en 1119, « Conneia » en 1225, « Conia » en 1230. Il s’agit bien sûr de la« Conie », ou « Conéi » avec une terminaison latine de traduction « a ».

Les érudits du XIXe siècle ont cru voir dans le toponyme de la Conie une racine hydronymique préindo-européenne de sens obscur. Cela n’est pas très convaincant d’autant que ce nom désigne surtout des lieux-dits habités ou non dans le reste de la France. On trouve ainsi un lieu-dit non habité nommé la Conie sur la commune d’Argent-sur-Sauldre, dans le département du Cher, une ferme appelée Conie sur la commune de Montoldre, loin de tout cours d’eau, dans le département de l’Allier, un lieu-dit non habité appelé les Conies sur la commune de Chassignelles, dans le département de
l’Yonne.

La piste de l’hydronyme pré-indo-européen de sens inconnu semble à écarter. Le latin peut nous aider. Le terme « conia » y désigne la cigogne. On trouve ce mot aussi sous la forme « ciconia » qui donnera la « cigogne ».

Le préfixe « ci » évoque la courbure du cou de l’animal (comme dans « cygne » : ci-in, courbure dedans, courbure du cou ramené dans le corps).

La ferme de Moret Conie nous éclaire un peu plus. Le terme « moret » est comparable à « mors, moris, more » en latin, qui donna le mot mœurs en français et qui se traduit par la volonté, le désir, le caprice, mais aussi la coutume, l’habitude, l’usage. Si nous retenons l’hypothèse de « cigogne » pour « conie », Moret Conie signifierait « habitué des cigognes, coutumier des cigognes, utilisé habituellement par les cigognes ».

Il faut trancher, et le toponyme de ferme de « la Cigogne », non loin de Moléans, sur la
commune de Donnemain-Saint-Mamès, semble confirmer notre hypothèse.

Le terme de Conie aurait perdu son sens, mais la présence des cigognes dans la vallée de la Conie demeura et une ferme nouvellement implantée prit le nom de cet animal toujours présent alors que plus personne ne connaissait l’origine du mot « conie ». Cette transition entre les mots « conie » et « cigogne » pour désigner l’oiseau a dû se faire avec la rupture due à la guerre des Gaules et à la romanisation très poussée de la contrée. Ce terme, désignant un village, une ferme, deux cours d’eau demeura, mais la raison principale de l’habitude de l’oiseau à nicher ici était la présence de la rivière. Le nom est aujourd’hui uniquement associé soit au village de Conie soit à la rivière de la Conie, à tel point que
les érudits du XIXe siècle, et même encore certains chercheurs aujourd’hui prétendent que le village a donné son nom à la rivière ou que la rivière a donné son nom au village, sans imaginer que ce terme désignait une caractéristique marquante de ce terroir : la présence de cigognes durant les beaux jours.

Ce n’est que plus tard, au XIXe siècle, sous l’influence de l’administration postale que des villages comme Villeneuve prirent le complément de « –sur-Conie » qui accusa le caractère de rivière à ce mot.

En fait, le terme de Conie semble très ancien. Il est peut-être gaulois, voire antérieur, car le terme « cigogne » le supplanta à l’époque romaine.

Il n’y a hélas plus de cigognes aujourd’hui à Moléans, c’est bien dommage. Cet oiseau était présent autrefois sur une bonne partie de l’ouest de la France comme l’atteste la répartition géographique du toponyme « Cigogne ». Cet échassier qui se nourrit de batraciens, d’écrevisses, d’oisillons, de petits rongeurs, de petits reptiles, etc., devait trouver son bonheur dans la vallée de la Conie, sa vallée.

Cet oiseau migrateur quittait l’Afrique pour venir en France vers la fin du mois de février pour nicher dans les grands arbres de la vallée.

Dans la tradition, la cigogne apporte les bébés, car les naissances humaines se faisaient principalement à cette période de l’année.

Leur retour était signe de renaissance, de résurrection. Ce retour devait être une fête. D’ailleurs « Conie », « co-ni », se comprend comme « avec nids » ou « avec nés ».

Pont sur la Conie à Moléans (28)

Pont sur la Conie à Moléans (28)

Les toponymes Conie et Cigogne

Les toponymes Conie et Cigogne

Moléans

Les dictionnaires topographiques et archéologiques indiquent comme première mention écrite de Moléans le terme de « Damolium », dans une charte de l’abbaye de la Madeleine de Châteaudun datant de 1115. La charte de 1115 n’est pas conservée aux archives départementales, ne figure pas dans le cartulaire de cette abbaye et semble avoir été perdue. Nous ne pouvons donc pas vérifier la graphie et la grammaire de la phrase dans laquelle le terme « Damolium » apparaît.

Cependant, on sait que les erreurs de copie étaient fréquentes au Moyen Age. Plus on remonte dans le temps, plus les versions des copies d’un même texte varient. Ce sont essentiellement les noms de lieux qui sont concernés car leur graphie n’était pas fixée comme celle des mots latins courants.

Nous pensons qu’il s’agit d’une erreur de copie car c’est la seule forme où Moléans apparaît commençant par la syllabe « da ».

« Damolium » est de toute évidence à l’accusatif. L’accusatif d’un lieu est toujours précédé de la préposition « ad ». Nous pensons ainsi qu’il faut lire non « Damolium », mais « ad Molium », à Moléans. Ceci semble d’autant plus juste que le bourg de Moléans n’appartenait pas à l’abbaye de la Madeleine de Châteaudun, mais que cet établissement religieux possédait des terres et des revenus sur la paroisse « ad Molium », à Moléans, localisation exprimée par un accusatif de lieu.

Les autres mentions médiévales de Moléans des XIIe et XIIIe siècles sont, comme c’était toujours le cas à cette époque, des adaptations du nom de lieu à la langue latine. Ce n’est que vers la fin du XIIIe siècle que la phonétique des noms de lieux commencera à être respectée dans la graphie.

Ainsi, au XIXe siècle a été relevé dans une charte de l’abbaye de Bonneval le nom de Montleon. Beaucoup de chartes de l’abbaye de Bonneval ont été perdues et dispersées. Cette charte n’est pas conservée aux archives départementales et ne figure pas dans le cartulaire de cette abbaye. Ce que nous pouvons en dire, c’est qu’il s’agit d’une tentative de traduction de Moléans par le clerc qui rédigeait la charte. A la fin du XIIe siècle, les rédacteurs des chartes essayaient encore de trouver une traduction latine à chaque nom de lieu et faisait par là même une tentative d’interprétation de son sens premier. « Montleon », le mont de Léon, ou plus vraisemblablement le Mont Lion est une de ces
tentatives.

Un acte de l’évêque de Chartres de 1226 nous donne la mention de « Monleen » (Histoire
du Dunois
de l’abbé Bordas, p. 276).

Le pouillé du diocèse de Chartres, qui donne la liste de toutes les paroisses du diocèse et leur patron, nous donne vers 1250 « Mons-Leene ». C’est encore une tentative de traduction. La syllabe « mo » a paru désigner un mont. Il lui a été rajouté « leen » (léen) et une terminaison latine d’ablatif de lieu « e ». Les syllabes « léan » n’avait pas inspiré de traduction particulière, mais il faut dire qu’au milieu du XIIIe siècle, cette préoccupation de tout traduire commençait à péricliter.

Cependant, les autorités ont ensuite utilisé abondamment le pouillé pour écrire les noms de lieux, et cela jusqu’à la forme latine du pouillé de 1736 : « Montléant ».

Traduire « mo » par mont devint une habitude : « Mons-Losnii » vers 1260 dans une charte de la Sainte-Chapelle de Dunois, « Mons-Lenis » en 1287 dans une charte de l’abbaye de Saint-Avit, abbaye située près de Châteaudun, « Montelein » en 1418 dans une charte du chapitre Saint-André de Châteaudun, Montléans en 1586 dans une charte du comté du Dunois. Plus on avance dans le temps, plus on se rapproche de la phonétique de Moléans.

Molitard subit le même sort, mais avec le cumul d’une autre interprétation, « moli », pour moulin.

Ces graphies médiévales et modernes ont été bien sûr reprises par les érudits du XIXe siècle pour trouver un sens au terme Moléans : Le Mont Lion.

Un érudit a même essayé de trouver un sens à « Damolium » : du gaulois « damo », boeuf, vache ou cerf et « olium » du gaulois « iol », « euil » qui signifie clairière, étendue. Il était ainsi arrivé au résultat de « la clairière du taureau ».

Moléans a subi d’autres interprétations, comme le Mont Lado. Lado fut interprété comme le nom germanique du propriétaire de ce mont. Le savant est allé plus loin en précisant que ce mont devait être en fait la motte castrale en terre ayant précédé le château.

Pour Moléans, on a parlé aussi de « mediolanum » le milieu, le centre, en évoquant la position intermédiaire de Moléans entre le Loir et la Conie.

Aucune de ces interprétations nous paraît proche de la réalité. Tout le monde semble s’être fourvoyé. Personne n’a vu le rapport évident entre Moléans et Molitard, tout proche, et personne ne s’est vraiment intéressé à la nature du terroir de Moléans qui en fait son identité véritable.

Si l’on en croit une des deux explications les plus vraisemblables, la première hypothèse sérieuse serait de traduire Moléans par « boueux en-dessous ».

Le terme « molé » désigne une terre molle, boueuse, humide, marécageuse. La racine « mol » se retrouve dans d’innombrables toponymes et microtoponymes qui offrent ces caractéristiques géologiques et géographiques.

Son suffixe « é » en accuse le caractère : « molé », qui est mou, boueux. Ce suffixe se rencontre sous de nombreuses autres formes dont les plus connues sont « ais », « ay », « ac »…

L’origine de Molé est latine : « mollis ». L’équivalent gaulois de Molé est « nauda » qui donna en français « noue ».

La seconde partie du mot, « an », désigne la position : en-dessous. On trouve cette extension dans de nombreux toponymes gaulois ou gallo-romains, comme les « Nouan », boueux en-dessous, les « Péan », en dessous du sommet (« Pé », du latin « podium »), ou comme dans « Landéan », sous la lande ou avec de la lande en-dessous…

La seconde hypothèse est de voir dans « mol », une meule, c’est-à-dire un moulin. Il existe
effectivement un moulin au pied du château et de l’église de Moléans. Cela semble une hypothèse sérieuse.

Pour essayer de faire la part des choses, il faut expliquer le second toponyme tout proche qui contient le radical « mol » : Molitard.

Ce toponyme a fait l’objet aussi de multiples interprétations. Nous ne rentrerons pas ici dans les détails. Signalons simplement que la signification du moulin, accentuée par le i de « moli » a eu la préférence des érudits.

La partie « itard » ou « tard » a été interprété généralement comme le nom propre de son propriétaire, un nom d’origine germanique.

Pour nous, « Molitard » peut faire aussi l’objet des deux hypothèses, le lieu boueux ou le moulin.

Le suffixe « itard » est rare. Nous pensons qu’il faut y voir le latin iter qui signifie « une seconde fois ». Moléans serait la première rencontre avec quelque chose sur le chemin suivant la rive droite de la Conie et Molitard serait la seconde rencontre avec le même élément. Cet élément serait une zone humide ou un moulin.

Il s’agirait donc soit de l’indication de deux moulins sur la Conie ou soit l’indication de deux lieux humides sur la Conie. Il est difficile de trancher, cependant si la présence d’un moulin à Moléans comme à Molitard est attestée au Moyen Age, leur présence à l’époque gallo-romaine semble peu crédible. Ce fait plaide pour la seconde hypothèse.

Un autre fait, qui plaide également pour la seconde hypothèse, est que Moléans est une hauteur au-dessus d’une zone très marécageuse de la vallée de la Conie, « la fausse rivière », une zone très humide aux multiples points d’eau.

Molitard se trouve sur la partie intérieure d’un grand méandre et est installé vraiment dans le fond boueux des alluvions de la rivière.

Nous penchons donc pour la première hypothèse : Moléans, « boueux en-dessous » et Molitard « une seconde fois boueux ». Chacun se fera son opinion à partir de toutes ces données.

Moléans avec son l'église Saint-Pierre et son château

Moléans avec son l’église Saint-Pierre et son château

Extrait ci-dessus de mon ouvrage :
Moléans (Eure-et-Loir), histoire par ses noms de lieux
à télécharger ici, gratuitement :
NicolasHuron-Toponymie-Moleans(28).pdf
ou avec une participation volontaire éventuelle avec €-libre-paiement,
ou avec une invitation aux bénéfices avec 32%/€net.

Version papier à faire imprimer et à acquérir à la Boutique !

Bonne visite à travers l’étude de Moléans (Eure-et-Loir) par ses noms de lieux.

Césure de fin pour doc

Ce contenu a été publié dans Histoire locale. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.