Article notamment extrait de ma grande étude sur
les noms de lieux de la commune d’Artannes-sur-Thouet (Maine-et-Loire).
Les premières interprétations
Les premiers toponymistes à se pencher sur l’origine du nom Artannes ont été Albert DAUZAT et Charles ROSTAING. Dans leur ouvrage Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France (Paris, 1963, réimp. Paris, 1978), ils associent Artannes-sur-Thouet (Maine-et-Loire), mentionné sous la forme Artana en 1090-1100, et Artannes-sur-Indre (Indre-et-Loire), mentionné Artenna en 1102, au mot gaulois artos, ours, employé au sens propre ou comme nom d’homme, et complété par le suffixe gaulois –enna, ou latin –ana.
Ces auteurs associent Artannes à Artagnan (65 ; Hautes-Pyrénées) qu’ils expliquent par un nom d’homme gallo-romain, Artinius, issu du gaulois artos, l’ours.
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Ils placèrent dans la même famille toponymique :
– Artaix (71 ; Saône-et-Loire),
– Artaise-le-Vivier (08 ; Ardennes),
– Arthaz-Pont-Notre-Dame (74 ; Haute-Savoie),
– Artassens (40 ; Landes),
– Saint-Martial-d’Artenset (24 ; Dordogne),
– Arthel (58 ; Nièvre),
– Arthun (42 ; Loire),
– Artalens-Souin (65 ; Hautes-Pyrénées),
– Artignan (65 ; Hautes-Pyrénées),
– Artignosc (83 ; Var) (suffixe –uscum),
– Artins (41 ; Loir-et-Cher),
– Artenay (45 ; Loiret) (de la variante Artenus),
– Arthenac (17 ; Charente-Maritime),
– Arthenas (39 ; Jura),
– Arthemonay (26 ; Drôme) (du nom d’homme gaulois Artamo, avec le suffixe –acum),
– Arthezé (72 ; Sarthe) (du nom d’homme gallo-romain Artisius, avec le suffixe –acum),
– Arthon (36 ; Indre) (du nom d’homme gaulois Artonos),
– Arthon-en-Retz (44 ; Loire-Atlantique),
– Artonne (62 ; Pas-de-Calais) (féminin de Artonos),
– Arthonnay (89 ; Yonne) (Artonos avec le suffixe –acum),
– Artas (38 ; Isère) (Artos, avec le suffixe latin –aceum).
Une trentaine d’années plus tard, Ernest NEGRE, dans son ouvrage Toponymie Générale de la France (3 volumes, Genève, 1990-1991), indiquait pour Artanne (37 ; Indre-et-Loire) mentionné Artenna en 1102, un nom propre romain, Artenna (tiré du Thesaurus linguae latinae), et indiquait pour Artannes (49 ; Maine-et-Loire), mentionné Artana en 1090-1100, la même interprétation.
Ces interprétations étaient tirées de l’anthroponymie, c’est-à-dire de dictionnaires de noms propres de personnes gauloises ou latines ou germaniques. Elles ont été reprises maintes fois par divers auteurs sans aucune critique, notamment par Eric Vial, dans son ouvrage Les noms de villes et de villages (Paris, Belin, 1983).
Les études récentes
Jean-Marie Cassagne, associé à Jean-Marc Pesson, dans leur ouvrage Origines des noms de villes et villages Indre-et-Loire (Saint-Jean-d’Angély : éditions Jean-Michel Bordessoules, 2001), pour Artannes-sur-Indre, rappelèrent que les étymologistes du XIXe siècle, faisaient dériver le premier nom connu de la commune, Artana (VIe siècle), des mots gaulois are, devant, et tann, le chêne, Artannes se traduisant alors par « près de la chênaie ». Ces auteurs précisent que le nom de l’endroit pourrait également se lire Art-enna, « propriété du Gaulois Artos », patronyme provenant du mot gaulois artos, l’ours.
Jean-Marie Cassagne, associé à Mariola Korsak, dans leur ouvrage Origines des noms de villes et villages Maine-et-Loire (Saint-Jean-d’Angély : éditions Jean-Michel Bordessoules, 2001), pour Artannes-sur-Thouet, indiquent que ce toponyme doit provenir du mot gaulois artos, l’ours. Ils précisent qu’il est difficile de savoir si le toponyme a été inspiré par le nom commun artos, l’ours, ou par un nom propre gaulois, Artos. Dans ce dernier cas, Artannes serait à comprendre comme « la villa du Gaulois Artos ».
L’avis d’un expert
Stéphane Gendron, dans son ouvrage L’origine des noms de lieux de l’Indre-et-Loire, communes et anciennes paroisses (Chemillé-sur-Indrois : éditions Hugues de Chivré, 2012), indique pour Artannes-sur-Indre, Artenna ou Artena (villa), le « domaine d’Artenus », nom de personne masculin romain employé adjectivement. Le linguiste précise qu’Artenus (ou Artennus) compte parmi les nombreux anthroponymes dérivés de Artus, forme latinisée du mot gaulois artos, l’ours.
Il indique qu’il tire cette interprétation du Corpus Inscriptionum Latinarum (corpus des inscriptions latines portant mention de noms de personnes romaines : Artanius, Artillus, Artilla, Artinus, Artio), et de l’auteur spécialiste des noms de personnes, Marie-Thérèze Morlet.
Stéphane Gendron a donc suivi la piste anthroponymique, celle des noms de personnes. Il précise également qu’Artannes-sur-Thouet, est un homonyme et que dans les deux cas d’Artannes, le –s final est factice et d’origine récente.
Des tanneries ?
Artannes pourrait se comprendre, comme certains étymologistes l’ont imaginé, sous la forme de are-tann, un assemblage de deux mots gaulois, are, près de, et tann, le chêne vert. Le terme tann, a donné les termes de tannerie, et les mots associés.
On peut émettre l’hypothèse de l’existence de tanneries gauloises à Artannes.
Géomorphologie et géologie des deux Artannes
Nous pourrions nous arrêter aux interprétations des linguistes, cependant, il nous faut réaliser une recherche géographique afin de caractériser les lieux et de savoir si ces caractéristiques géologiques ou géomorphologiques ont pu être à l’origine du nom Artannes.
Artannes-sur-Thouet se trouve sur un rétrécissement de la vallée du Thouet, élargie par son affluent la Dive. Ce resserrement rocheux en forme d’entonnoir trouve sa partie la plus étroite des alluvions de la rivière exactement à Artannes.
Disposition géologique des deux Artannes
La commune d’Artannes-sur-Indre, se trouve-t-elle aussi sur un rétrécissement de la vallée de l’Indre ? La réponse est oui. En aval d’Artannes-sur-Indre, la vallée a une largeur variant entre 750 mètres et 1000 mètres. Juste en amont d’Artannes-sur-Indre, un élargissement porte cette largeur à plus de 1000 mètres. Au niveau d’Artannes-sur-Indre, la largeur de la vallée de l’Indre est de moins de 400 mètres.
Il semblerait que le terme d’Artannes soit lié à un resserrement, à un rétrécissement, à une étroitesse.
Une famille de mots latins
Le verbe latin arto, artare, signifie serrer fortement, étroitement, resserrer, raccourcir, amoindrir. L’adjectif artus, a, um, signifie serré, étroit, resserré. Le nom artum, désigne un espace étroit.
Le suffixe –anus, masculin, ou –ana, féminin, ou –anum neutre, indique la provenance, l’appartenance. Il a donné le suffixe français –an, –ain, ou –ien, ou –in (Rome, Romain ; Christ, chrétien ; mal, malin ; etc.).
Ainsi, pour Artannes, nous aurions, le radical art-, serré, et le suffixe –anus, -ana, ou –anum, -ain.
Une conclusion fragile
Cette hypothèse d’un espace, ici une vallée, « resserrée, étroite », n’avait jamais été évoquée par les linguistiques, les historiens, ou les étymologistes. C’est pourquoi, cette hypothèse, bien que vérifiée sur le terrain, est encore fragile.
Comparaison avec d’autres communes
Il n’y a que deux Artannes en France, mais en se rapportant aux communes déjà indiquées, et portant la racine Art-, nous pouvons faire une étude comparative.
– Ainsi Artaix (71 ; Saône-et-Loire) pourrait être identifié comme les eaux, aix, étroites, art. Cette interprétation semble coller au lieu qui présente une vallée très étroite, celle de la rivière l’Arçon, débouchant sur la vallée de la Loire.
– Artaise-le-Vivier (08 ; Ardennes) est situé à l’endroit où la vallée du Bar, affluent de la Meuse, se rétrécit en commençant sa percée du massif des Ardennes.
– Arthaz-Pont-Notre-Dame (74 ; Haute-Savoie), près d’Annemasse, est situé à l’entrée du massif alpin, entre deux reliefs très marqués à l’entrée de la vallée de l’Arve, affluent du Rhône.
– Arthel (58 ; Nièvre) est situé dans un vallon étroit donnant sur une vaste plaine.
– Artignosc-sur-Verdon (83 ; Var) est situé dans un vallon étroit, le Vallon de sous Ville.
– Le vieux bourg d’Artins (41 ; Loir-et-Cher) se situe sur un fort rétrécissement du lit mineur du Loir.
– Arthon (36 ; Indre) correspond à l’entrée d’un vallon, au milieu d’un élargissement du val de la Bouzanne, curieusement entre deux rétrécissements.
– Arthon-en-Retz (44 ; Loire-Atlantique) se situe près d’un étranglement du vallon du Perche.
– Artonges (02 ; Aisne) se situe sur un rétrécissement de la vallée de la Dhuis qui s’encaisse à partir de ce bourg.
– Artonne (63 ; Puy-de-Dôme) est situé près d’un passage étroit entre la plaine de la Limagne et les contreforts du Massif Central, au nord de Riom.
– Artas (38 ; Isère) se situe dans un rétrécissement, dans un col, un passage étroit entre deux larges vallons.
Semblent peu correspondre à un resserrement du relief : Saint-Martial-d’Artenset (24 ; Dordogne), Artalens-Souin (65 ; Hautes-Pyrénées), Artenay (45 ; Loiret), Arthenac (17 ; Charente-Maritime), Arthenas (39 ; Jura), Athémonay (Drôme),
Ne semble pas correspondre à un resserrement du relief : Artassens (Landes), Arthun (Loire), Artagnan (Hautes-Pyrénées), Arthezé (72 ; Sarthe), Arthonnay (89 ; Yonne).
Pré-conclusion… classique
Cette étude comparative nous montre que pour la moitié des toponymes ressemblant aux Artannes, nous nous trouvons effectivement bien sur un rétrécissement, un resserrement du relief, généralement d’une vallée ou d’un lit de rivière.
L’hypothèse géo-morphologique semble confirmée.
Artannes peut donc se comprendre comme un nom formé à l’époque gallo-romaine (Ier siècle avant Jésus Christ au Ve siècle) qui perdit son sens dans le courant du Moyen Age.
Les faits : des ours tannant des saumons… élevages, tanneries et Rome !
Avec un peu de recul et d’expérience de terrain, on perçoit dans Artannes-sur-Thouet, avec Saumoussay, en face de l’autre côté de la rivière, la présence ancienne d’ours tannant des saumons dans le resserrement de ce val, près du plateau calcaire en pente douce propre aux chênes verts. L’ours se faisant ainsi ses réserves de gras avant son hibernation d’hiver pour aller se fourrer dans une des caves ou, pourquoi pas, un dolmen du lieu.
On pense évidemment aux quartiers d’hiver de légions romaines en cette frontière de trois nations gauloises largement attestée par la toponymie (Saint-Cyr-en-Bourg, le Châtellier, la Barre, Munet, etc.), et avant eux à des oppida gaulois de frontières, mais aussi à des tanneries gauloises, de l’âge du bronze, voire du Néolithique ou du Paléolithique, tannerie du bétail de cette plaine de gras pâturage en boue ur, l’auroch des langues anciennes, nom d’une ville de Mésopotamie, quand celle-ci était encore en gras pâturages…
Ces verts pâturages inondables, nous font évidemment aussi penser à l’Egypte et à son delta et aux âneries de l’Empire romain… visibles notamment aux Asnières locales et proches, et aux marchands de Rome, de Rocheville, aussi dite Rougeville, et aux restes archéologiques romains nombreux en cette frontière : son église Saint-Pierre, rappelant les menhirs, comme la Pierre fiche toute proche, où, peut-être quelques ours venaient s’y gratter le dos, son église de Saint-Hippolyte-sur-Dive, rappelant notamment l’élevage de chevaux, avec ses établissements commerciaux proches de l’actuel Pont de Saint-Just-sur-Dive.
Allez un peu plus loin…
J’espère que cette explication vous a plu, elle largement tirée de ma grande étude sur les noms de lieux de la commune d’Artannes-sur-Thouet (Maine-et-Loire).
On peut jouer avec ce jeu de mots pour en comprendre encore plus…
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